Paul CHARREL
151 avenue Berthelot, 69000 LYON
Il est impossible de parler de CHARREL (Paul Charrel) sans le comparer à REYHAND (André Reiss), d’autant qu’ils étaient dans la même avenue. Si le destin d’André Reiss réduisit leur concurrence à peu d’années, les deux atteignirent le plus haut niveau qualitatif que l’on connut à Lyon.
On peut les qualifier de « Grands Maîtres Lyonnais du Cycle ». Le rédacteur de la revue « Le Cycliste » écrivait en 1946, qu’André Reiss n’était pas remplacé.
Cela n’allait pas tarder…. Et probablement même a-t-il été dépassé.
Paul CHARREL était ferronnier d’art de métier et coureur cycliste amateur. Rapidement il préféra les très longues randonnées cyclotouristiques.
Paul Charrel ouvrit son magasin de cycle en mai 1936 et dès le 5 juin déposa une demande de brevet pour la transmission primaire centrale des machines multiples, que l’on voit sur sa triplette à nulle autre pareille.
Ci-dessus une publicité parue dans l’Annuaire Fédéral du Cyclotourisme de 1937. (Collection Pierre Izambert)
Ci-dessus, dans Le Cyclotouriste de mai 1939.
« Paul Charrel, cycles de précision »
la transmission centrale dont le brevet à été déposé
sous le numéro 809.959 (voir ci-dessous)
et appliqué sur la triplette Charrel
LA TRIPLETTE DE LA FAMILLE CHARREL
Madame Charrel mère, Hélène Charrel, son fiancé ou déjà époux Henri Essertel et Paul Charrel qui tient tout en équilibre d’une jambe.
Cette triplette visible au musée MALARTRE est un véritable laboratoire sur roues… ci-dessous les brevets sur la transmission (publié en 1937) et les freins (publié en 1947) (Source INPI)
Outre l’application du brevet, cette triplette se présentait ainsi :
– Cadre et fourche en REYNOLDS 531, avec les tubes des selles sans tige.
– Jeu de direction STRONGLIGHT.
– Roulements des pédaliers et moyeux C.A.R. annulaires.
– Manivelles STRONGLIGHT dural à emmanchements carrés.
– Dérailleur et roue-libre CYCLO avec commande au deuxième cycliste.
– Selles IDÉALE chariot dural.
– Cintres, potence et garde-boues AVA.
– Freins sur jantes CHARREL.
– Frein arrière à tambour MAXI axe renforcé par CHARREL.
– Éclairage RADIOS.
– Avertisseur LIBÉRATOR.
Sur la plaque PRODUCTION CHARREL, à l’adresse 153 Avenue Berthelot, c’est une erreur ! Sur la plaque de propriété au nom de Charrel le 151 est bien indiqué.
Pourrait-on dire que Paul Charrel avait réalisé son chef d’œuvre ?
Cette triplette est conservée au Musée Henri MALARTRE avec quelques évolutions et probablement un ré-émaillage.
Ville de LYON à Rochetaillée sur Saône (reproduction interdite).
Le panneau indique qu’il doit s’agir du col de la Cayolle. Paul Charrel ne lache pas les commandes de la triplette pendant qu’Hélène se repose, Henri est tout au fond.
À remarquer que la transmission primaire n’est, ce jour là, centrale qu’entre les deux premiers pédaliers. La seconde liaison a été remise en configuration d’origine lorsque la triplette ne fut plus utilisée.
Lorsqu’il céda la machine à M. Malartre, Paul Charrel écrivit qu’elle avait été construite en 1936, et il indiqua qu’elle avait franchi, avec cette « équipe », les cols, monts et côtes de la Luère, le Chat, l’Epine, le Granier, la Bérarde, du Luitel, de Laffrey, des Aravis, du Lautaret, du Galibier, d’Iseran, d’Izoard, de Vars, la Cayolle, Valberg, le Ventoux, la Moreno, du Pertuis, la République, le Pilat, la Croix de Fer, le Glandon, du Rousset, de la Machine, de Combe-Laval, la Tracol, la Croix du Sud, du Chat Delbos, d’Ornon, de Lacheaux, du Noyer, de Festre, du Béal, de Romeyer, St Nizier de Moucherotte, le Lèbe, la Chartreuse de Porte …etc.
Ainsi que les 100km Vélocio et Lyon-Chamonix-Lyon, en 1939 et en 1941.
LES CYCLES CHARREL
L’une des toutes premières bicyclettes construites par Paul Charrel, la plus ancienne que nous connaissons.
Par certains aspects elle nous semble antérieure à la triplette, à moins que ce ne soit la triplette qui fut modernisée quelques années après sa construction.
Le graphisme de la marque est identique à celui peint au fronton du magasin dès son ouverture. Cette machine est quasiment toute en acier. Le cadre soudo-brasé sans raccord est en tubes TITAN.
Il n’y a pas de tige de selle réglable, elle est soudée dans le tube, ce qui indique une fabrication sur mesures.
Nous trouvons cette façon sur plusieurs CYCLES CHARREL, jusque dans les années 50. Les freins sont des JEAY.
À droite, les points de soudure du garde-boue aux fourreaux de fourche et ci-dessous, ceux des tringles aux pattes et au garde-boue, avec par dessous des tétons de positionnement dans les lumières prévues pour les boulons.
Les écrous « papillons » servent aussi de clé à rayons.
Ci-dessous la fixation du garde-boue, en deux points à l’entretoise haute. Dessous, il y a aussi deux vis car il faut que cela soit très rigide, le porte-bagage est aussi soudé au garde-boue.
Le garde-boue arrière est soudé à l’entretoise basse et aux deux bases. Les tringles et les supports du porte-bagage se réunissent presque aux pattes arrières.
André Reiss a donc reproché à Paul Charrel d’avoir copié sa double triangulation dont il n’avait déposé le modèle qu’après l’ouverture du magasin CHARREL.
En bon voisinage, Paul Charrel s’est engagé à ne pas réutiliser cette géométrie.
Outre les remarques à ce sujet en page REYHAND, il est intéressant de noter qu’en 6 mois d’exercice, Paul Charrel à livré 6 tandems… il y avait peut-être là des raisons d’inquiétude pour André Reiss …
PAUL CHARREL ET GEORGES CHARTOIRE
Quelques coureurs portèrent le maillot CHARREL (était-il marron ?), dont Georges Chartoire qui aidait aussi Paul Charrel pour le montage des roues, lorsque son métier d’ébéniste le laissa chômer.
Ambiance, au centre probablement un client. Archives de la famille Chartoire.
Marié, Georges Chartoire opta pour un tandem. Il dû insister probablement beaucoup pour l’avoir rouge. Lorsque Martial vint agrandir la famille le tandem repassa chez Charrel pour recevoir un side-car.
La photo ci-dessus est prise après que la famille se soit installée à Gap où Georges était devenu facteur.
Un moteur auxiliaire DIEM fut ensuite monté sur le porte bagage arrière. La photo ci-dessous est prise dans une rue de Gap pour un reportage dans la presse locale.
Plus tard le moteur et le side-car furent démontés et finalement détruits sous les décombres du réduit où ils était conservés.
Musée Henri Malartre – Ville de Lyon à Rochetaillée sur Saône
(reproduction interdite).
Ces modifications sont identifiables par les retouches de peinture noire.
Ce tandem, rigidifié d’une autre façon très élégante, fut construit avant ou pendant la guerre car les freins d’origine (probablement JEAY) furent remplacés par ceux brevetés en 1946, et un dérailleur avant CYCLO, qui apparaît en 1949, fut ajouté, ainsi que quelques butées de gaine.
En 1923 les bicyclettes L’INTÉGRAL avaient le tube de selle qui se dédoublait ainsi en direction du pédalier, en 1926 les cadres EMDE aussi.
À la fin des années 30, BARRA et HURTU utilisaient ce principe de « triangulation latérale »… et peut-être d’autres.
UN QUARTIER SOUS LES BOMBES
Le quartier de l’avenue Berthelot fut bombardé par les alliés
le 26 mai 1944 (était visé les gares et le siège de la gestapo),
comme tout le voisinage Paul Charrel se réfugia aux abris.
L’alerte terminée il découvrit
le rez-de-chaussé de l’immeuble
où était installé sont magasin criblé d’éclats d’obus, de pierres
et de fer. Plus tard il racontera que les rails du tramway étaient
relevés à la verticale jusqu’à 2 m.
Le magasin et l’atelier n’étaient plus utilisables.
Alors il installa un atelier provisoire dans la (heureusement très grande) cuisine de sa mère, d’où la publicité ci-contre publiée dans
Le Cyclotouriste d’octobre 1946.
Jusqu’à quand ?
PAUL CHARREL, LES ANNÉES GLORIEUSES
Après la deuxième guerre mondiale, Paul Charrel pris un brevet pour un frein dit « à serrage rectiligne. Le porte-patin était mobile par rapport au « cantilever et frottait sur un « chemin » rectiligne au tasseau, ce qui fait qu’au freinage le patin ne décrivait pas un arc de cercle mais se déplaçait horizontalement. Ce frein est bien visible sur la machine ci-dessous :
Il n’est jamais facile de réaliser un cadre bien équilibré, de très petite taille, même avec des roues de 650.
Celui-ci, fait pour une dame, probablement en 1946, avec les haubans quasiment parallèles au tube diagonal, est l’exemple parfait du savoir-faire
de Paul Charrel, ainsi que la tête de fourche travaillée à la lime.
(Paul Charrel était Ferronnier d’Art)
Manette du dérailleur décentrée et freins brevetés en 1946, avec leurs renforts de câbles particuliers.
Sur le garde-boue avant, un gros rivet obstrue le point de fixation d’un premier porte-bagage (pour siège d’enfant ?) remplacé par le porte-sacoche de 2ème génération fixé au guidon, ainsi que la selle et l’éclairage arrière.
Haubans croisés. Deux points de fixation haute du garde-boue arrière. Fixations des tringles en ligne avec des barillets à deux filetages inversés. Dérailleur arrière CYCLO dural, celui d’avant CHARREL à câble, commandé par une manette CYCLO, très discrètement caché sous le carter de chaîne réalisé à partir de deux différents. (visible aussi plus loin sur la bicyclette de Madame Charrel)
Ce couple de plateaux STRONGLIGHT
est une nouveauté en 1946.
Le premier porte-bagage avait nécessité de placer le phare sur le côté de la roue. À cet effet Paul Charrel fabriqua une jolie patte en dural, Probablement découpée dans la même tôle d’aluminium dont il se servait pour faire certains leviers de frein. (voir sur une autre machine plus loin)
CYCLES CHARREL, retour à l’avenue berthelot
Retour Avenue Berthelot de LYON, publicités dans Le Cyclotouriste.
mars 1948
Pourquoi au 50 Avenue Berthelot ?
mai 1948
Paul Charrel réussit une bonne prestation
dans Paris-Brest-Paris 1948.
Musée Henri MALARTRE – Ville de LYON à Rochetaillée sur Saône (reproduction interdite).
« A’Yon, mes belins belines, les gones y z’allaient apincher les équevilles, d’une traboule à l’autre, acque la barotte, jusque dans l’en-bas de la Montée de la Grand’Côte ».
Des fois y avait des bécanes si détrancannées que tout y allait d’une fesse, mais souvent et maintes fois y en avait pas. Et tout par un coup y en avait de si chenuses qu’on s’encroyait si tellement pas ses agnolets !
Le 10 août 2010.
Le 29 février 2012, rassemblement CHARREL
au musée Henri Malartre – Ville de Lyon
de 8 machines CHARREL
dont au premier plan le dernier vélo de Paul Charrel.
La bicyclette ci-dessous est entièrement d’origine sauf la tresse du guidon et les pneus.
Câble renforcé au point de tirage et porte-sacoche de première génération avec verrouillage par vis. Le cable passe dans des petites barettes de tirage et l’extrémité est soudée au « tirant ».
« Cocottes » Le GRIMPEUR
ajourées avec leviers de Paul Charrel.
Le phare ne porte pas de marque.
Est-ce le même que celui, dessiné par Daniel Rebour, qui était sur la randonneuse CHARREL de Berger
lors de la Poly Lyonnaise en septembre 1949 ?
La tête de fourche est décorée à la lime et la manette CYCLO modifiée (décentrage) afin d’obtenir une tension de cable régulière malgré le déplacement latéral du dérailleur.
Afin de laisser passer le cable du frein arrière, la tige de selle est évidée.
Le petit catadioptre est d’origine,
le plus grand a été ajouté pour respecter les dimensions minimum imposées par un changement de rêglementation (1955).
Pédales et cale-pieds en dural.
Le dérailleur avant, commandé par une manette CYCLO,
sert aussi de porte-pompe.
Anneau prévu pour arrimer un ressort de dérailleur de secours
si celui qui passe dans la base casse.
Deux points de fixation à l’entretoise donnent une rigidité inégalée au garde-boue arrière, porte-sacoches.
Les fixations des tringles de garde-boue sont « en ligne » grâce à des barillets comportant deux filetages inversés.
LE SIDE-CAR VU PAR PAUL CHARREL
À la fin des années 40 et pendant les années 50,
il fabriquait des side-cars, pour enfant, adaptables aux tandems,
qui permettaient de conserver une certaine latitude d’inclinaison du tandem et de la roue du side-car dans les virages, alors que la caisse restait verticale.
La forme générale semble avoir toujours été la même mais les dimensions étaient adaptées aux besoins des clients.
Un pare-brise et une capote étaient facultatifs.
Musée Henri MALARTRE – Ville de LYON à Rochetaillée sur Saône (reproduction interdite).
Verrouillé pour le stationnement.
Déverrouillé pour le roulage.
PAUL CHARREL, RANDONNEUSE D’EXCEPTION
La dernière bicyclette de Paul Charrel
avec la manette du dérailleur excentrée
et des vis de serrage à oreilles,
des renforts sur la boîte de pédalier et des moyeux C.A.R. dont l’arrière avec une grande joue rivetée côté roue-libre.
La bicyclette de Suzanne Charrel, construite par son époux en 1955.
Toute en REYNOLDS 531.
Freins CHARREL.
Raccords ajourés.
Collection privée.
Commande décentrée
du dérailleur arrière.
Écrous à ailettes creuses.
Commande de la dynamo
au serrage de selle.
Dérailleur CYCLO dural 5 vitesses, ressort interne, carter de chaine à double épaisseur.
État d’origine sauf le pédalier changé après 1974, pour vendre le vélo.
Janvier 1961
Lorsque la demande de vélos « faits main » ne fut plus suffisante, parallèlement, Paul Charrel devint agent MOTOBECANE.
Désormais les marques sont peintes au pochoir dans différentes couleurs, selon celles des cadres.
La randonneuse ci-dessous a été ré-émaillée après que Paul Charrel ait adopté les marquages au pochoir.
Il semble probable que les leviers de frein et la commande de la dynamo soient des modifications de cette époque. Collection privée.
Le porte-sacoche est de première génération.
Douille de direction évasée aux deux extrémités
et tête de fourche Paul Charrel.
Les supports « maison » étaient rivetés à l’arrière de la sacoche de guidon.
Les manettes CYCLO qui sont excentrées, afin d’obtenir une tension constante des câbles, sont montées sur des plots brasés en biais pour aligner parfaitement les câbles dans l’axe des entrées vers l’intérieur du tube diagonal.
Poids 10 Kg 500.
L’invisible vaut parfois le visible, comme le guide câble dans le tube de selle. La manette de commande de la dynamo est articulée en bout de la vis de serrage de selle.
Les moyeux MAXI-CAR sont ajourés. Garde-boue arrière rallongé par rivetage. Ligaturage des rayons d’une grande finesse tous parfaitement identiques. Protection de la base réalisée avec une tranche de chambre à air, et ressort de tension interne.
Commentaire du photographe, grand connaisseur de randonneuses artisanales :
« C’est un des plus beaux vélos, non, c’est le plus beau vélo que j’ai vu. Respect Monsieur Charrel !! »
En 1969, Paul Charrel construisit cette bicyclette
à cadre en tubes DURIFORT.
Elle combinait la géométrie spéciale brevetée (voir page ISO) avec des particularités de fabrication de Paul Charrel, mais pas toutes, pour Claude, une des filles d’Augustin Isaac.
Au montage il s’avéra que le cadre était trop court, les genoux heurtaient le guidon. Pour reculer la selle, une potence spéciale (pour l’époque) fut alors faite.
Une petite randonneuse faite pour une dame vers 1970.
La tête de fourche « ciselée » à la lime, les fixations des garde-boues « en ligne », les freins CHARREL sont toujours là. Le tube de selle est beaucoup plus « redressé », il semble que ce soit très fréquent dans la dernière décennie d’activité de Paul Charrel, sinon constant.
Construite en même temps, celle du mari a beaucoup plus roulé et fut ré-émaillée après la cessation d’activité de Paul Charrel, elle n’a donc plus les marquages au pochoir, ni les filets, ni les parties chromées, la selle pourrait avoir été changée :
Potence à pince,
porte sacoche « maison »
de deuxième génération
à déverrouillage rapide.
Photos © christophe
Longs sifflets de haubans, douilles de fixation des tringles de garde-boue modernisées.
Ces deux machines sont désormais séparées mais chacune en très bonnes mains.
La longévité a généré le remplacement des dérailleurs et probablement du pédalier :
Ci-dessous un devis pour deux bicyclettes à pédales ISO. (Archives famille Charrel)
La facture qui correspond à ce devis est datée du 3 juillet 1975.
Paul Charrel avait progressivement adopté un très beau « Bleu de France ».
Il fit ce cadre à raccords très personnalisés en 1978 pour son fils Frédéric.
Plus tard, lors d’une randonnée, il pose près de cette machine, la sienne est à gauche.
Photo Frédéric CHARREL
Paul Charrel prit sa retraite en 1979.
La boutique devint un magasin de farces et attrapes.